Pas besoin d’horloge au salon…

Publié le par le hérisson

Ma grand-mère vient de fêter ses 81 ans. Nous dînons ensemble ce soir.

Elle me raconte sa sœur de 87 ans qui est hémiplégique depuis octobre dernier. Sa sœur ne bouge plus ses jambes et à peine un bras. Elle peut parler et se rend compte de sa nouvelle situation : Elle est consciente dans un corps qui ne peut presque plus rien. On la soulève avec des sangles pour la mettre au lit.
Ma grand mère me parle de sa sœur de 87 ans qui lui a dit qu’elle aurait préféré mourir plutôt que de se voir comme ça. Elle me raconte la maison de retraite de sa sœur. Les petits vieux en fauteuil roulant, les petites vielles en déambulatoires. Elle me dit qu’elle va voir sa sœur et qu’elle pleure avec elle de voir tout ça. Elle me demande à quoi ça sert de maintenir les gens en vie comme ça ?

Et puis elle dit : Qu’allez vous faire de moi quand ce sera mon tour ?

Elle pose cette question en levant ses deux bras, le vrai et le bras électrique qu’elle porte maintenant depuis une trentaine d’année. Le risque de dépendance à l’autre est infiniment plus important avec ma grand-mère. Elle n’a qu’un bras, l’autre, elle l’a perdu pendant la guerre. Elle porte une prothèse. Elle m’explique qu’elle est retournée à Paris récemment parce qu’elle avait cassé le pouce de son appareil. : sans son appareil elle ne peut plus rien. Pas de pouce = pas de pince = plus de possibilité de se débrouiller toute seule.
Pas besoin d’hémiplégie pour elle. Il suffirait qu’elle ne puise plus utiliser ce bras et ce serait le début de la fin, le début de la dépendance…

Elle me parle aussi d’un de mes grand-oncles, resté chez lui toute une nuit par terre parce qu’il n’arrivait pas à se relever. Elle me raconte cela presque avec humour. Le grand-oncle en question s’est retrouvé dans cette situation parce qu’à 94 ans, il ne voulait pas porter un collier avec un bipeur. Porter un collier vous pensez ! Maintenant, Il porte son bipeur dans la poche de sa chemise…

Elle me parle aussi d’une grande-tante, la femme du précédent. Elle ne va plus la voir dans sa maison de retraite. Elle ne se rappelle plus de rien. La maladie d’Alzeimer a tout effacé. Elle n’est plus qu’une coquille vide.

Ma grand mère me parle de ça : de son monde qui s’écroule. Elle voit ça : Son monde, son environnement qui change, les gens qu’elle connaît (voisins, famille, amis..) qui peu à peu partent ou se dégradent. Elle, ça ne va pas si mal. Elle continue son bonhomme de chemin. Le diabète plus ou moins réglé. Le cas insolite de son dentier intégral qu’elle porte depuis si longtemps et qui vient de perdre une dent !
Elle me parle de son monde qui peu à peu s’écroule. Elle dit sa solitude.  En filigrane elle pose la question: à quand mon tour ? A quelle sauce vais-je être mangé ?

Il n’y a pas besoin d’horloge au salon !

Publié dans Empreintes

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L
on dit souvent que "la vieillesse est un naufrage". C'est terrifiant d'imaginer que tous ces gens autour de ta grand-mère dépérissent, même s'ils sont déjà très âgés (on peut avoir Alzheimer à 65 ans...). Oui : comment cela se finira-t-il, quelle sera notre fin à nous aussi ? ces questions, je pense qu'on préfère ne pas se les poser, qu'on préfère ne pas voir...Est-ce une bonne chose ? je ne sais pas
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L
<br /> Oui, ce que l'on imagine, ce qu'on entrevoit de la viellesse des autres et par ricochet de la notre, ne nous donne pas vraiment envie de trop y penser en effet... <br /> <br /> <br />